En 1964, la quête folle de John Coltrane pour une musique universelle prend une nouvelle dimension avec la sortie de "A Love Supreme", un de ses plus grands chefs d'oeuvre et sans doute aujourd'hui, un des disques parmi les plus connus (et les plus accessibles aussi) du saxophoniste. Conçu comme une offrande, ce disque lumineux expose, plus que tout autre, le profond mysticisme qui anime depuis toujours l'oeuvre du musicien (au point de se confondre avec elle). Sans doute prédisposé par une famille très pieuse, fortement marqué par une véritable "crise mystique" dès 1957, John Coltrane s'est en effet toujours intéressé à la religion, ou plutôt à toutes les religions (l'hindouisme, l'islam via sa première épouse Naima, comme grâce à Alice Mcleod, sa seconde compagne, les cultes africains...) et croit en un Dieu unique, Amour Suprême a qui il dédie cet hymne fluide, d'une incroyable sérénité.

L'année suivante, "Ascension" (sur l'album "The Major Works Of John Coltrane") donne une autre version, nettement plus fièvreuse, de cette meme foi en Dieu. Après l'ordre vient le temps du chaos. De l'extrême tension. Et une fois de plus d'une frénétique exploration sonore. Entouré de jeunes "punks du sax", (Archie Shepp, Marion Brown, John Tchicai et surtout Pharoah Sanders, qui deviendra un temps son plus sûr lieutenant, à la place d'un Eric Dolphy prématurément disparu lors d'une tournée européenne en 1964), John Coltrane se lance à nouveau dans un vertigineux tourbillon. Peu importe maintenant que ses musiciens comprennent ou non ce qu'il fait, du moment qu'ils réagissent et l'aident à créer les sons dont il est hanté. Jusqu'à la fin de cette année 1965, John Coltrane va alors accumuler les enregistrements ("Transition", "Sun Ship", "Meditations"...) et avec obstination bâtir, surcharger, puis élaguer pour reconstruire, dérégler son jeu enfin, lutter contre lui même et évacuer toute notion de pure virtuosite pour se rapprocher d'une musique divine qui ne serait plus qu'émotion. Rude et épuisante tâche! D'autant que l'heure est plus que jamais à l'urgence des problèmes de poids lui rappellent que la maladie est maintenant en lui (dûe à ses excès passés) et que seule la musique est immortelle...




La légende veut qu'en écoutant " A Love Supreme ", la mère de John Coltrane ait déclaré "Mon fils a vu Dieu. Il n'aurait pas dû. Celui qui a vu Dieu va mourir ". Effrayant présage... Mais si John Coltrane. en 1966. se sait miné par la maladie, il continue cependant sans relache son travail de titan. L'année précédente l'a sacré "meilleur jazzman 1965" et beaucoup le considèrent déjà comme un musicien culte, comme le plus grand saxophoniste du monde. C'est avec la bouleversante urgence de ceux qui savent que leur temps est compté qu'il grave ses derniers disques, ultime évolution d'une oeuvre colossale en perpétuel devenir. "Expression" ou "Stellar Regions" reflètent cette nouvelle étape vers une totale liberté. Sur une immense vibration (attisée notamment par son nouveau batteur, Rashied Ali, omniprésent), le saxo de John Coltrane, incandescent, s'envole vers des contrées inconnues, hantées d'une charge émotionnelle inédite, où alternent exaspération et sérénité. Vers une musique totale, sensuelle et spirituelle a la fois, bien au-delà des genres. Universelle.

Lorsque John Coltrane succombe à un cancer du foie, le lundi 17 juillet 1967, à la veille de son quarante et unième anniversaire, le mythe est dejà en marche. La musique perd un visionnaire mais l'art de ce siècle gagne un véritable saint.

Depuis, l'influence de John Coltrane sur plusieurs générations de musiciens reste capitale, non seulement dans le jazz, mais aussi dans la musique contemporaine ou dans le rock. Les Byrds ou Mick Taylor n'ont jamais caché leur admiration pour le musicien. Jimi Hendrix, qui devait enregistrer son premier chef d'oeuvre ("Are You Experienced"), quelques mois seulement avant la mort de Coltrane, a souvent été comparé, à travers ses longs solos distordus, au saxophoniste de "Giant Steps" ou de "A Love Supreme". Et aujourd'hui encore le phénomène continue d'Henry Rollins a Sonic Youth, en passant par les Smashing Pumpkins. Les enfants les plus teigneux du rock se revendiquent volontiers aussi... ceux de Trane. Trente ans apres le dernier souffle de John Coltrane, l'oeuvre inachevée de celui qui ne vécut que pour la musique reste plus moderne et plus essentielle que jamais.

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